Le passé

Inventaire du Patrimoine Monumental de la Belgique

Son bâti

Au cœur du bois de Bar, dans une clairière de 120 h, s’ouvre à flanc de cuesta, la ferme de Bar érigée en 1846 – date sur le pigeonnier. Le bâtiment se détache à la limite entre des bois de feuillus et des champs. Édifice isolé, il comporte deux ailes en L sous bâtières de tuiles avec croupe de raccord. Ses moellons sous enduit, sont en calcaire autrefois peint.
Logis à dr. sur l’aile N., de sept travées sur deux niveaux; deux portes. Quatre travées à l’arrière. Sur l’ensemble des deux ailes, partie agricole multicellulaire parfois remaniée. Linteaux droits, y compris pour les portes de granges, fenêtres thermales; agencement souvent cruciforme pour les baies d’étable et de fenil.
Corniche calcaire en doucine sur tout le périmètre. Pigeonnier sur cour à l’aile N.-S., plate-forme moulurée sur corbeaux et sur denticules (fig. 307). P.S.[1003].

Inventaire Patrimoine Monumental, volume 21, pages 368-369.

 

 

Son histoire

Son nom rappelle que cette terre fut jadis une possession du Comté de Bar, par les mariages et autres actes passés avec les Comtes de Chiny. Mais si l’histoire des bois de Bar remonte au Moyen Age, celle de la ferme est beaucoup plus récente.

En effet, c’est en 1845 que Joseph-Augustin Fizaine et Paul-Augustin Seven tous deux originaires d’Ethe, entrent en possession de 120 hectares de forêt. Ils s’empressent de défricher pour y construire, dès 1846, un corps de ferme à cour ouverte, dont les deux bâtiments sont disposés en équerre. Le pigeonnier porte d’ailleurs le millésime de 1846.

Les fermes de ce type répondent à  trois fonctions: celle d’habitation, celle de stockage de céréales et celle de stabulation du bétail.

Tous les bâtiments regroupant ces éléments se répartissent autour de la cour. A Bar comme ailleurs, d’autres bâtiments comme chartils, greniers, pigeonnier, porcherie, forge, lavoir et laiterie complètent l’ensemble.

Des générations de fermiers se succéderont bientôt sur le site. Notons, après Joseph-Augustin Fizaine, Jean-Joseph-Désiré Mollet et Victorine Benoît, Léopold Joris et Mélanie Badoux, Adelin Closset, Joseph Halbardier, Jules Vermeersch.

En 1920, Jules-Félicien Balon et son épouse acquièrent la ferme pour l’exploiter personnellement. Avec eux, c’est une grande partie de l’histoire de Bar qui s’écrit.

En 1947, le corps de ferme est divisé en trois pour les besoins de l’héritage. Trois familles y vivent alors.

En 1947 toujours, la porcherie est incendiée. Elle sera reconstruite et transformée en maison d’habitation. De même, en 1957, la forge est également transformée en maison.

Lorsque les époux Balon-Jacob décèdent en 1965 et 1969, un partage judiciaire laborieux va morceler le domaine. L’acte officiel est signé le 04 avril 1975 au café «La Sapinière» à Croix – Rouge. Les quatre signatures des héritiers apposées au bas du document sont lourdes de conséquences car dès cet instant, si la ferme de Bar conserve malgré tout son nom, elle vient de perdre son unité.

Aujourd’hui, la ferme résonne d’un son différent. Le Collectif Ferme de Bar, orchestré par Francky Depuydt, fait vivre une partie des bâtiments au rythme de concerts, expositions, conférences et autres activités festives.

Les autres bâtiments sont toujours occupés par une exploitation agricole.

Cuestart 2019

 

Lieu de Mémoire

1914-1918

Lieu de commandement:

Le 21 août 1914, le général d’infanterie von Strantz, commandant le Ve Corps allemand se trouve à Etalle où s’est installé son Quartier-Général. Il est sous le commandement direct de la 5e armée du Kronprinz et par la suite de von Moltke (plus haut gradé de l’armée allemande) bras droit de l’Empereur Guillaume II.

Dans la soirée, il alerte ses deux divisions et leur transmet en substance l’ordre suivant: la 9e (général von Below) – par la route de Huombois-Virton – et la 10e (général Kosch, division de Poznan, plus tard Pologne) – par celle de Buzenol-Ethe – franchiront la ligne de chemin de fer Marbehan-Virton à 4 heures du matin avec leurs avant-gardes pour occuper les hauteurs entre Robelmont et Virton. Les unités (nom commun pour toute entité dans l’armée) se mettent en marche dans la nuit.

Réveillés en sursaut, les fermiers de Bar assistent au passage de la 10e division (env. 14 000 hommes …) composée en majorité de Polonais. Son bataillon d’avant-garde, le 50e Régiment d’infanterie commandé par le colonel Diestel, débouche des bois situés au nord d’Ethe peu après 6 heures du matin, dans un brouillard à couper au couteau. En face de lui, le bataillon Florival du 104e Régiment d’infanterie français (qui fait avec le 103e la 14e brigade du général Félinau, faisant partie de la 7e division du général de Trentignan se trouvant à Ethe, sous les ordres du général Boëlle du 4e Corps d’armée de la 3e armée du général Ruffey, le tout géré par général Joffre). Ce 104e régiment s’est déployé face au nord, au-delà du talus de la voie ferrée. Le combat de rencontre va commencer.

C’est au son du canon que les fermiers suivent l’évolution de la bataille. Le va et vient incessant des estafettes entre Etalle et la ligne de feu ainsi que le reflux des blessés et des prisonniers témoignent de l’intensité des combats qui font rage dans la vallée du Ton. À mi-chemin entre ces deux points, la ferme de Bar constitue un premier relais idéal et connaît une activité fébrile.

Général Koch y installe son poste de commandement, garde 200 uhlans en réserve et y soigne ses blessés. Les 1ers chasseurs à cheval seront utilisés à partir de la ferme pour faire la liaison avec l’AK 5 (corps d’armée 5 du général von Strantz)

Il lance la 20e brigade (IR 47 et 50) sur Ethe et la 19e sur Belmont (IR 47 et 6e grenadiers) et un déploiement immédiat de toute l’artillerie (FAR 56 et le FAR 20).

Le 23 août, les troupes allemandes pénètrent dans le village d’Ethe abandonné pendant la nuit par les Français et s’y livrent aux pires exactions. On crie à l’injustice quand la mort sélectionne. Cette 10e division est appelée après la « division noire » -livre de J.C. Delhez, le jour de deuil de l’armée française-1re partie.

211 civils d’Ethe sont tués et 71 de Latour.

Alors que Jules Vermeersch, le nouveau fermier à Bar, tremble toujours dans sa ferme occupée, son prédécesseur, Joseph Halbardier, père de douze enfants, est abattu d’une balle dans le dos sur le seuil de sa maison à Gomery.

Le 7 septembre 1917 Jules Vermeersch ne possède plus que 4 chevaux et 4 poulains alors qu’un recensement antérieur fait état de 13 chevaux et 56 bêtes à cornes, une ferme de 120 hectares de clairière.

Lieu de soins:

Général Kosch installe à la ferme une ambulance allemande, très vite env. 400 blessés y sont soignés et l’après-midi du 22 août, quand les allemands se retirent à cause d’une forte contrattaque des Français, seulement 89 blessés sont évacués, 320 sont restés sur place. Le médecin divisionnaire Müller ordonne son repli sur Arlon et ne peut que revenir le 24 août.

Le 23 août une nouvelle attaque est lancée sur Ethe par la division noire dont nous connaissons les résultats pour les citoyens restés sur place.

Lieu de détention:

Suite au combat du 22 août 1914 la ferme abrite des civils, innocents, victimes du camage de ces journées sanglantes et détenus cela avant leur transfert vers d’autres geôles.

1940-1945

Lieu de commandement:

Ce vendredi 10 mai 1940, le soleil s’est levé de bonne humeur. La journée s’annonce radieuse. A Bar, au chant du coq, les fermiers ignorent que la guerre est déclarée et, selon leur habitude, se rendent au marché hebdomadaire de Virton où ils apprennent la terrible nouvelle. Tôt le matin, les colonnes blindées de la Xe Panzer ont traversé le Grand-Duché de Luxembourg en moins d’une heure sans coup férir et pénétré en Belgique pour foncer vers Florenville qu’elles comptent atteindre en fin de journée. En tête de la colonne sud marche le régiment d’infanterie Gross-Deutschland (IRGD) du colonel comte von Schwerin dont le groupe avancé (Vorausabteilung) est commandé par le Hauptmann Felsch.

A l’annonce de la guerre, la population civile s’affole. Fuir ou rester?

Le souvenir tragique des sanglantes journées d’août 1914 dans le Sud-Luxembourg revit dans les mémoires. Nombreux sont ceux qui n’hésitent pas à abandonner tous leurs biens, au risque de les perdre à jamais, pour chercher refuge en France. L’exode commence.

Tout au long de la journée, les Belges qui « évacuent » croisent les unités françaises venant prendre position en Gaume. Le 1er groupe à cheval du 16e Groupe de reconnaissance de Corps d’Armée (GRCA), commandé par le chef d’escadrons Marcellin a franchi la frontière à 8 h 30 à Villers-la-Loue et occupe Houdrigny à 11 heures. À 15 heures, son avant-garde atteint la ferme de Bar. Marcellin y installe son poste de commandement. Vers 19 h 30, il reçoit des renforts venant du carrefour de Croix-Rouge et à 20 heures, la position défensive est organisée autour de la ferme.

La situation évolue de façon défavorable car dans la nuit, ordre est donné de tourner bride pour se replier dare-dare dans la région Houdrigny-Dampicourt-Montquintin.

Après le départ précipité des Français, qui lui ont conseillé de fuir, le fermier, Felicien Balon s’interroge. Après bien des hésitations, il se décide enfin de quitter Bar le 11 mai vers 4 heures du matin. La famille embarque dans la grosse voiture Dodge et roule jusqu’à Montpellier et même au-delà, laissant la ferme à la garde du brave père Auguste, son fidèle domestique. En quittant Bar les larmes aux yeux, la famille craint surtout pour son Chasseur Ardennais (fils Albert Balon) en campagne à Assenois près de Neufchâteau.

Lieu de soins

Dans les jours qui suivent, sans pouvoir préciser la date exacte, les premiers sidecars feldgrau vinrent dans la cour. La ferme est aménagée en Feldlazaret (hôpital militaire de campagne). Une immense croix rouge peinte sur le toit guide les pilotes qui posent leurs petits appareils sur le plateau, déchargent les blessés et redécollent aussitôt. (photo dans l’expo)

Treize combattants ayant succombé à leurs blessures sont enterrés sur place, dans un coin sablonneux situé en contre-bas de la ferme, dans le bois communal dénommé « Au pas l’Chevaux ».

La progression rapide des troupes allemandes (Blitzkrieg) entraîne le déplacement de l’hôpital avancé. Dans la hâte du départ, un petit avion de reconnaissance immobilisé pour panne de moteur, est abandonné sur place et camouflé soigneusement dans le bois tout proche. Dans son rapport du 4 juillet 1940, le commandant de l’Ortskommandantur de Virton signale que lors du constat de l’état des routes, on a découvert un avion allemand intact, bien camouflé, à proximité de la ferme de Bar (in der Nähe der ferme de Bar). Il s’agit d’un Henschel de reconnaissance. La 1re Compagnie du Bataillon 837 de Défense du terroir (Land Schütz Batl 837) y a placé une garde permanente composée d’un caporal et trois hommes, chargée également de l’entretien des tombes.

Une inscription délavée, encadrée par deux croix  gammées, tracée sur un mur d’une chambre du premier étage rappelle encore cette présence militaire.

Cette inscription a été découverte en 1995 et après analyse nous pouvons compléter le texte comme « Uns geht die Sonne nimmer unten », « Chez nous le soleil ne se couche jamais ».

Expression utilisée aussi bien par Jules César que Napoléon. (photo expo)

Surtout des officiers SS blessés au front de l’est sont présents pour raison de convalescence, la cour de la ferme est utilisée comme lieu de repos car située en plein sud.

Dans les caves les crochets de nourriture (photo expo) et un accès carrossable démontrent la présence d’une cuisine collective de cette période. (Cet accès spécial est fermé aujourd’hui)

À son retour à Bar vers le 15 août 1940, Félicien Balon trouve sa ferme debout, mais le cheptel décimé. Il ne lui reste que deux pouliches sous-traitées à l’occupant par le brave père Auguste. Il apprend avec soulagement que son fils Albert est vivant mais hélas retenu prisonnier en Allemagne.

L’espoir renaît d’autant plus que l’hôpital de campagne a plié bagages. La vie va pouvoir enfin reprendre un cours normal. Aux bottes de cuir succèdent les bottes de foin d’une fenaison tardive. Redoublant d’ardeur, le soleil généreux du mois d’août dore les moissons dévastées comme s’il voulait en compenser un peu les pertes.

En 1947 la ferme est divisée en trois (actuellement Franky, Matthieu et Ameline et puis Jean-Yves occupant l’ancienne porcherie qui a complètement été incendiée cette année-là et reconstruite ensuite comme très jolie maison de campagne) et en 1957 la forgette devient la maison conviviale de la famille de Jacqui.

Lieu de détention:

Des résistants de Montourdan ont été capturés et mis en détention dans les granges de la ferme avant d’être transportés vers Arlon.

La résistance utilisait d’ailleurs la ferme de Bar comme point de repère pour organiser des droppings-largages dans les bois alentours, d’armes et munitions à des endroits bien connus par le réseau de la résistance locale.